Modélisation d’une trompe d’éléphant
Ethologie morpho-fonctionnelle de la trompe des éléphants : de la biologie vers la robotique
Modeling of the elephants' trunk: From evolution to soft robotics.
La trompe de l'éléphant est l'un des organes de préhension les plus complexes du règne animal. Pourvue de 150000 faisceaux musculaires et capable de saisir avec puissance, précision et aspiration, ses adaptations représentent des solutions bio-inspirées uniques.
Présentation du projet
Les éléphants utilisent leur trompe dans des contextes variés tels que la communication, l’utilisation et la fabrication d’outils et la manipulation de la nourriture. Précise et puissante à la fois, ce proboscis est une fusion du nez allongé avec la lèvre supérieure de l’éléphant. Principalement composé de muscles et dépourvu de structure rigide, cet hydrostat musculaire possède une grande liberté de mouvements. Bien que remplissant des fonctions fondamentales pour la survie des éléphants, l’évolution de la trompe reste obscure.
En parallèle des questions biologiques irrésolues, l’industrie a besoin de nouveaux bras robotisés flexibles et robustes, capables de saisir et soulever à la fois des petits objets et des lourdes charges et de les déplacer avec précision pour assurer la sécurité des lieux et des personnes. Comprendre les liens entre les tâches, les contextes et les solutions biologiques développées par les éléphants pour survivre, peut contribuer à innover et créer de nouveaux robots reproduisant les mouvements complexes de la trompe.
Dans ce contexte, l’objectif de cette thèse est de quantifier et expliquer la variabilité du comportement de la trompe des éléphants de savane d’Afrique, dont l’extrémité comporte deux doigts, à l’aide d’une approche éthologique et biomécanique. Que l’on se place à l’échelle de l’individu ou de la population, les capacités de préhension et de manipulation de la trompe peuvent- elles s’expliquer par sa forme, sa trajectoire, sa vitesse, sa force ou le comportement de l’éléphant ?
Pour répondre à cette question et analyser précisément le fonctionnement de la trompe, des procédures interdisciplinaires sont utilisées pour acquérir et analyser les données : quantification de la variabilité comportementale de l’utilisation de la trompe chez des individus sauvages dans des environnements variés, mesure de la force maximale et étude de la cinématique de la partie distale du proboscis chez des individus captifs. Ce projet permettra, d’une part, d’enrichir la discussion autour des questions biologiques et écologiques fondamentales qui nous interrogent. Comment et pourquoi cette trompe a-t-elle évolué de manière différente selon les espèces et les populations ? Quelle est la variabilité des usages de la trompe en fonction de l’environnement ? D’autre part, grâce à un transfert de connaissances vers la robotique bio-inspirée, toutes ces nouvelles données aideront à concevoir un prototype inédit de trompe préhensile capable de reproduire le mouvement de la trompe des éléphants.
Mots-clés : préhension, manipulation, trompe, éthologie, biomécanique, robotique, bio-inspiration
Le contexte
La trompe de l'éléphant est l'un des organes de préhension les plus complexes du règne animal. Pourvue de 150000 faisceaux musculaires et capable de saisir avec puissance, précision et aspiration, ses adaptations représentent des solutions bio-inspirées uniques. Dans le même temps, l'industrie a un besoin urgent de nouveaux bras robotisés flexibles et robustes, notamment pour déplacer des charges lourdes tout en assurant la sécurité des personnes. Cependant, aucun robot industriel actuel (rigide ou souple) ne peut assurer à la fois des déplacements sûrs, la saisie d'objets lourds par enroulement et la saisie de précision.
Les objectifs et apports
Le but global du projet est de développer une étude étho-fonctionnelle de la trompe pour, à termes, créer de nouveaux robots bio-inspirés avec des corps continus, flexibles et robustes. Plus précisément, les objectifs de cette thèse sont de quantifier le répertoire comportemental morpho-fonctionnel des utilisations de la trompe des éléphants d'Afrique actuels au cours de tâches complexes de préhension et de manipulation afin de comprendre 1) la variabilité des utilisations de la trompe, 2) les paramètres 3D morpho-fonctionnels de la préhension et des manipulations de la trompe en fonction des propriétés des objets et des tâches. Ces connaissances seront utilisées pour concevoir, en parallèle, un prototype préhensile capable de reproduire les mouvements de la trompe. D'un point de vue fondamental, nous améliorerons notre connaissance des mécanismes évolutifs d'un organe aussi complexe de manipulation et d'un animal emblématique. D'un point de vue appliqué, les données seront directement utilisées pour créer un prototype opérationnel unique pour le déplacement de charges lourdes en toute sécurité.
L'approche et l'équipe
Cette thèse, interdisciplinaire, impliquera l’utilisation des méthodes issues de l’éthologie, de la morphologie fonctionnelle et de la biomécanique. Cette thèse sera encadrée par Emmanuelle Pouydebat (MECADEV) et Raphael Cornette (ISYEB). Des collaborations seront également impliquées pour la partie biomécanique (LBMC, Lyon) et robotique (LS2N, Nantes).
L'adéquation à l’initiative IBEES
Notre projet est fédérateur et transversal et propose une recherche interdisciplinaire afin de donner au doctorant et aux chercheurs impliqués (aux compétences différentes) l'opportunité de confronter leurs connaissances et expériences. Ce projet propose également des enjeux sociétaux et implique différents mots-clés et thématiques de plusieurs instituts de Sorbonne Université, Initiatives Biodiversity, Evolution, Ecology, Society (IBEES) en particulier.
Publications
Costes, P., Delapré, A., Houssin, C., Mulot, B., Pouydebat, E., & Cornette, R. (2024). Maximum trunk tip force assessment related to trunk position and prehensile ’fingers’ implication in African savannah elephants. Plos one, 19(5), e0301529.
Costes, P., Soppelsa, J., Houssin, C., Boulinguez‐Ambroise, G., Pacou, C., Gouat, P., ... & Pouydebat, E. (2024). Effect of the habitat and tusks on trunk grasping techniques in African savannah elephants. Ecology and Evolution, 14(4), e11317.
Thèse
Thèse soutenue le 10 décembre 2024, intitulée "Éthologie morpho-fonctionnelle de la trompe des éléphants : de la biologie vers la robotique"
Résumé :
La trompe de l'éléphant est un organe multitâche sans support squelettique. Cet hydrostat, composé de plusieurs groupes musculaires et d'une large innervation, permet des mouvements précis impliqués dans un large panel de comportements et de fonctions et peut générer une force importante pour saisir et manipuler des objets aux propriétés variées, notamment à l’aide de ses deux doigts. Ces adaptations évolutives inspirent des innovations pour les robots souples préhenseurs, cependant peu de travaux analysent de manière quantifier le fonctionnement singulier de la trompe. C'est dans ce cadre de recherche fondamentale couplé au biomimétisme, dans une optique de transfert de données et de connaissances vers la robotique souple, que ma thèse s'inscrit. Cette thèse explore les capacités de préhension des éléphants de savane d’Afrique, en se concentrant sur les fonctions de prise alimentaire de la trompe. Mes recherches combinent des analyses comportementales et biomécaniques pour évaluer qualitativement et quantitativement les techniques de préhension. Elle examine la force de pincement maximale de la trompe, la répartition de cette force entre ses deux doigts et l'effet de la position de la trompe sur cette force. Des expériences ex situ montrent que le doigt dorsal est plus fort que le ventral en raison de différences musculaires et d'élasticité de la peau. La torsion de la trompe réduit la force de pincement globale et diminue la différence de force entre les doigts. L'étude analyse aussi la cinématique de la trompe pendant la saisie d'aliments. Cette thèse explore également l'influence des propriétés des aliments (ex-situ), de l'habitat et de la morphologie des défenses (in-situ) sur les techniques de préhension. Les résultats montrent que la prise s’ajuste à la largeur de l'objet, avec une ouverture de la trompe plus grande pour les objets larges. L'angle de saisie plus faible pour la carotte suggère une influence de la forme de l’objet. Juste avant la saisie, pour les objets plus larges, l'espacement des doigts s'aligne plus sur les dimensions de l'objet, tandis que les objets plus fins nécessitaient des saisies plus précautionneuses, avec des doigts plus ouverts. Les objets plus grands et visibles ont donné lieu à des trajectoires plus droites. Contrairement aux résultats obtenus pour l'ouverture de la trompe, où l'éléphant se base sur la largeur pour ajuster sa prise, l'animal semble utiliser la taille globale de l'objet pour ajuster sa trajectoire dans l'espace. L'analyse de la vitesse n'a pas montré de différence dans la vitesse médiane pendant la phase d'atteinte, mais la carotte a provoqué la vitesse la plus élevée pendant la phase de saisie, probablement en raison du défi que représente son détachement du support. Les mouvements plus rapides et directs pour la carotte, liés à la préférence alimentaire, semblent réduire la précision, se traduisant par un faible taux de réussite, illustrant un compromis entre vitesse et précision. Enfin, cette recherche compare les comportements de préhension de groupes d'éléphants dans des habitats plus ou moins secs. Les éléphants d’Etosha (Namibie) utilisent davantage le pincement, tandis que ceux du parc Kruger (Afrique du Sud) préfèrent l’enveloppement, en raison des différences de disponibilité et de hauteur de la nourriture. L’étude explore l'impact des caractéristiques des défenses sur le comportement de préhension. Un taux plus élevé de défenses cassées à Etosha est attribué à des facteurs environnementaux tels que la présence de fluorure dans l'eau et un sol abrasif. La taille et la courbure des défenses diffèrent également entre les deux groupes, les éléphants de Kruger présentant des défenses plus grandes et plus courbées. La présence et l'orientation des défenses influencent les mouvements de la trompe, les éléphants dépourvus de défenses utilisant plus fréquemment l'enveloppement et moins le pincement, car les défenses peuvent gêner la trompe. En conclusion, cette thèse éclaire la relation entre la biomécanique de la trompe, l’habitat incluant la nourriture et la morphologie des défenses en lien avec les techniques de préhension, avec des applications potentielles en robotique souple.
AAP 2021
Porteur : Emmanuelle Pouydebat (MECADEV – UMR 7179)
Co porteurs : Raphaël Cornette (ISYEB – UMR 72005) – Damien Chablat (LS2N - UMR 6004)
Doctorante : Pauline Costes